Le Léviathan
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Le
Léviathan fit une grimace de mépris, il savait,
lui, il avait prévu ce naufrage sur mer, cet anéantissement de la terre par les
éléments en colère, l’échéance était venue, le glas avait sonné. La nature avait
lâché l’immonde bête, celle qui dormait et dort toujours, invisible de tous,
mais qui se réveille de son long sommeil traître afin de régner, fou de terreur,
sur le monde assoupi, ce paradis terrestre où l’homme se croit à l’abri !
Quand
il fit surface, couvert d’écume et d’étincelles de
feu, il voyait les diables danser sur la lave chaude qui s’écoulait du cratère
béant crachant nuage sur nuage vers le
ciel déjà obscurci. Un vent tenace et furieux emportait les cavaliers de l’apocalypse qui galopaient
au-dessus de l’île à une allure effrénée. Leurs sabots crachaient des
étincelles enflammant tout sur leur chemin… embrasant la végétation qui avait
cessée d’être une divinité et la beauté éternelle de cette terre… noyant les
somptueuses forêts dans un crépuscule sans fin…
Une
pluie de cendres couvrit les sommets les plus fiers, la
verdure jadis la plus flamboyante, la plus saturée, masquait l’eau d’une surface
glauque ressemblant à une mare nauséabonde. Déjà les animaux s’étaient enfuis,
quelques coups d’ailes solitaires battaient encore dans le ciel noir
cachant l’horizon d’un mur gris impénétrable et menaçant !
La
mer grondait. Le Léviathan retenait sa respiration, puis...
de ses larges narines ressortait l’écume des vagues qui l’avait pénétrée en se
ruant sur lui… lui qui osait regarder ce spectacle funèbre qu’il avait lui-même
provoqué ! Sa gueule monstrueuse poussait un cri affreux, ses yeux injectés
de sang avaient l’air terrifiant !
Les vagues montaient encore et encore pour se jeter
avec toute leur force contre les berges
en feu ; à leur encontre une fumée épaisse montait comme un gésir vers le
ciel, s’évaporant avec des cris stridents.
L’horrible
spectacle dura déjà un certain temps jusqu’à ce
que le dernier navire coulât dans un sifflement
infernal, gargarisant et crachant des bulles, enseveli sous les vagues et disparaissant
à jamais !
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Le monstre décide pour nous, nous qui ne savons rien,
qui ne prévoyons nul événement !
De
toute sa force, sans égard aucun, pur comme toute
nature brute dans ses agissements où l’homme ne compte pas, n’est rien qu’une poussière
consciente mais pas assez pour l’éviter ; on lui concède juste de vivre le
temps qui lui est compté. Cette bête surhumaine n’épargne rien ni personne, ne
connait ni pitié ni sentiment, elle est
pure énergie en action, immanence implacable dans sa décision de se montrer, de
détruire ou de créer, imprévisible dans ses apparitions, dans son appétit bestial
subite et totalement destructeur !
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Pourtant,
après son passage, la nature se relève oubliant chaque anéantissement, chaque catastrophe,
car elle est la nature même, elle est la plaie et la cicatrice; son paradoxe
n’est qu’une respiration, comme l’homme inspire et expire, ainsi vit et existe
cette bête étrange qu’est la nature, tantôt ange, tantôt démon; c’est ce qui la
fait vivre et l’homme aussi…
Une
tempête terrible se leva à l’horizon et vint balayer la
terre, mordant la surface de ses dents pointues, léchant la mer goulûment en avalant
l’écume des vagues furieuses, plongeant même jusqu’aux profondeurs des eaux
pour y déloger le Léviathan, qui, prudent, s'enfonça rapidement et s‘échappa,
laissant derrière lui et au-dessus de lui, cette menace danser jusqu’à l’épuisement !...
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